6. juin, 2018

Ascoltare il silenzio

Je viens à peine de garer ma voiture à Lillaz et me mets aussitôt en route vers le lac de Loie. Ce n’est pas habituel pour moi de marcher seul mais Carlotta a préféré rester à l’hôtel.

J’étais pris entre l’intense envie de retrouver ces sentiers que j’aime tant en cette saison, nous sommes fin juin au moment où la floraison est explosive, et le goût amer d’être sans elle, même pour une demi-journée, j’ai un peu hésité. Elle a insisté pour que je ne sacrifie pas mon amour de la nature pour quelques heures avec elle. Je décidais de l’écouter.

Le chemin est tel que je l’avais laissé l’année dernière à la même époque, le même, mais jamais le même, tant tout se répète toujours autrement.

Des fleurs partout, je suis pris dès le début de la marche par tant de beauté et un sentiment de plénitude, le flux de mes pensées ralentit au rythme de mes pas dans la montée vers le col.

C’est toujours en cheminant que j’élabore mes idées pour mon travail. Mon esprit, au moment où le corps se concentre sur la marche, décuple son énergie, et encore plus au contact de la nature.

Je comprends Arthur Rimbaud qui parcourait presque tous les jours 50 kilomètres et composait son œuvre poétique pendant sa marche.

Comme si la mobilisation physique du corps libérait l’esprit en le stimulant.

Pourtant, suivant les lieux, mon esprit a tendance soit à se stimuler, soit au contraire à ralentir laissant la place à un état de conscience hors du commun dans l’environnement que je traverse. Comme si j’étais une pièce indissociable de l’ici et maintenant du puzzle qui m’entoure.

Pour moi, qui aime par dessus tout partager mes activités avec d’autres, qui ne trouve pas d’intérêts à « faire » en solitaire et qui suis définitivement un être social, c’est toujours une sensation étrange de marcher en silence. D’entendre mes pas, le bruit des souliers qui s’assouplissent sur l’herbe ou résonnent sur les graviers, tracer  en sons mon rythme intérieur.

Tout est rythme  en ce monde mais on ne le perçoit pas toujours tant il est souvent si bruyant et chaotique.

Aujourd’hui, sur ce chemin tortueux vers le sommet encore invisible, gravissant seul la montagne dans le calme, j’ai une relation particulière avec ce silence, cet assourdissant silence. D’abord Sans y prêter attention et après avoir élaboré multitudes de plans sur la stratégie à adopter pour convaincre le maire du Paradou de valider mon projet de rénovation de la mairie, je suis étonné d’observer mes pensées ralentir au fur et à mesure de mon ascension. Totalement engagé par ce chemin et la concentration nécessaire à la marche, mon esprit fait de plus en plus de place à ce qui m’entoure au détriment de mon agitation cérébrale habituelle.

Il s’est passé une heure depuis mon départ, et alors que je suis emporté par les bourdonnements joyeux des abeilles, engourdi par le tintamarre des grillons dans les prés et agacé par les mouches qui se collent inlassablement à ma peau, j’ai conscience que je ne pense presque plus. Bien sûr, cette conscience ne se traduit pas par la pensée que je ne pense pas - car ce serait penser encore- mais bien par une attention à cet état d’être au monde.

Et si des bribes de pensées volettent encore comme des mouches dans mon cerveau et voudraient bien que je les développe,  le rythme de la marche les écarte.

J’en ressens une réelle euphorie, si peu anodine, que je l’aurais elle bien volontiers développée, si la concentration sur le chemin ne gardait le dessus.

Un pas après l’autre. Juste mes pas. Et l’univers autour qui rayonne. Cet univers, au fil de l’ascension, j’en deviens une part indissociable. Minuscule mais fondue à lui.

Dans ce silence intérieur, j’ai conscience que l’univers est tout sauf silencieux, que la vie n’est qu’agitation, fuite en avant. Que seul ce présent est réalité et que ce n’est qu’en lui qu’on peut goûter au vide qui habite toute création et dans lequel résiderait peut-être la réponse au mystère. Une réponse comme une vérité inatteignable, le chemin et le questionnement ininterrompu seuls, semblant l’unique voie.

C’est à ce moment précis sans doute que j’ai eu la foi. Une foi laïque ou sacrée je ne saurais le dire. C’est là sur ce chemin de montagne par l’intuition de n’être qu’un élément parmi des milliards, fragile, mortel, mais capable de goûter l’éternité dans l’instant présent, que j’ai connu la transcendance.

Pendant cette ascension j’ai cru comprendre que s’il existait un créateur il ne pourrait être sans doute que dans ce vide, multiple et condensé vide qu’on trouve au cœur de la fleur comme au cœur de chaque être vivant.

Que l’unique endroit du silence ne peut être qu’au cœur même de l’être puisque tout ce qui l’entoure n’est que bruit et agitation, y compris dans la nature. Que le seul moyen de l’atteindre est sans aucun doute la pratique, pour moi de la marche, pour un autre de la méditation, du yoga ou de ne je sais quelle discipline, tant il y a autant de chemins que d’êtres.

C’est ce jour là que j’ai compris aussi que la véritable ivresse n’a pas besoin de vin tant je suis ivre de cette sensation, ivre de vie.